Le pays des enfants parfait, chapitre 1 (suite)

images, fonds d’écran de l’enfant de fille, vecteur rousse, milieux à poil long


Dans la pièce d’à côté, le bébé hurlait toujours, rongeant inexorablement sa patience. Non content de lui voler sa seule chance de recevoir un jour un peu d'amour de ses parents, ce démon en couche-culotte venait également lui pourrir l'existence. Même dans sa chambre, son sanctuaire, il n'y avait plus moyen d'être tranquille. Les cris de Lily transperçaient les murs comme s'ils étaient faits de carton. Ce qui était d'ailleurs sans doute le cas, ne put s’empêcher de remarquer l'adolescente.

Sa chambre, c'était son repère, même ses parents n'y pénétraient que rarement. Des posters de ses groupes préférés fleurissaient un peu partout. Un symbole anarchiste géant, peint en rouge, occupait tout un mur. Elle sourit en se remémorant la réaction de sa mère, quand elle l'avait découvert un matin en venant déposer son linge. Elle avait failli faire une attaque. Cela tombait bien, c'était un peu le but recherché.

Le volume monta encore d'un cran. Difficile de croire qu'un si petit être puisse faire autant de bruit. Ruby hésita à mettre un peu de hard rock pour couvrir les cris de sa sœur, mais elle renonça. Elle avait déjà suffisamment d'ennuis comme ça.

N'y tenant plus, elle se leva et attrapa son sac à dos. Elle déversa son contenu sur le lit. Délaissant les livres et les cahiers, elle récupéra son carnet à croquis et ses crayons et les remis à l’intérieur. Elle sortit ensuite de la pièce, en veillant cette fois-ci à ce que la porte ne fasse pas le moindre bruit. Techniquement, elle était privée de sortie pour une période indéterminée, mais son père était au travail et il faudrait des lustres à sa mère pour se rendre compte de sa disparition. Si elle s'en rendait compte. En général, après une dispute, elle évitait de se confronter à sa fille. Ruby disposait donc de plusieurs heures de liberté devant elle, et, dans l'état d'énervement où elle se trouvait, elle en avait bien besoin.

Sur le pas de la porte, elle s'arrêta quelques instants et tendit l'oreille pour s'assurer qu'elle n'avait pas été repérée. Une berceuse s'échappait de la chambre parentale, presque couverte par les pleurs de Lily. En entendant la voix douce de sa mère, le cœur de Ruby se serra. On était si loin du ton sec et chargé de reproche qu'elle utilisait pour s'adresser à elle. Réprimant le début de tristesse qui menaçait de l'envahir, elle se faufila jusque dans l'entrée.

Avant de quitter l'appartement, elle marqua une courte pause devant la photo d'une petite fille qui lui ressemblait beaucoup avec ses jolies boucles rousses. Celle-ci adressait au photographe un sourire rayonnant, plein d'insouciance et de joie de vivre. Mais malgré la ressemblance flagrante, ce n'était pas Ruby sur ce cliché. L'adolescente n'avait pas le souvenir d'avoir été un jour aussi joyeuse. Elle avait toujours été une enfant maussade et introvertie. D'ailleurs, ses parents s’étaient très peu donné la peine de la prendre en photo. À quoi bon alors qu'elle faisait toujours la gueule ? Non, ce n'était pas Rubis, mais Polly qui souriait à sa cadette dans le cadre doré. La jeune fille la salua tristement. Si elle avait été là, les choses auraient été bien différentes. Elle n'aurait pas été seule toutes ses années. Mais Ruby était née deux mois trop tard. Deux tout petits mois qui avaient gâché toutes les chances de survie de sa sœur et ruiné du même coup la vie de ses parents et la sienne.  

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