Le pays des enfants parfaits, chapitre 3





La musique à fond dans les oreilles, Rubis se sentait bien. Elle avait l'impression étrange de fusionner avec le monde. D'être à là, sans l'être tout à fait. A la fois si présente et si détachée. Un fantôme, invisible aux yeux des gens, saisissant des fragments de leur vie sans que ceux-ci s'en aperçoivent. Son crayon glissait sur le papier, immortalisant ses instants de bonheur éphémères, comme si elle voulait se les approprier.
Elle commença par représenter la bande d'ado qui s'amusaient sur leur planche magnétique quelques mètres plus loin. Ils volaient joyeusement, zigzaguant entre les arbres et les passants sous les exclamations indignées des personnes âgées. Parfois l'un d'eux tombait et sa combinaison se gonflait, le faisant ressembler à un monsieur bibindom.
Puis les jeunes rentrèrent chez eux, laissant la place à des chiens promenant leur maître et à des couples d'amoureux. Ruby continua de dessiner, les joues rougies par le froid. Elle resta là un long moment, totalement hermétique au temps qui passait. Dans le ciel, le soleil disparut lentement, emportant avec lui les derniers degrés au-dessus de zéro. Le froid glacial ramena la jeune fille à la réalité. Elle serra sa vieille parka kaki contre elle. Quelle heure était-il ? Il faisait déjà presque nuit. Elle regarda sa montre. 19 heures. Merde!

En haut de l'écran, un petit symbole clignotait, signe qu'on avait essayé de l’appeler. Elle appuya sur l’icône et l'heure laissa place à son journal d'appel.

Appel manqué, maman 17H30
Appel manqué, maman, 18H
Appel manqué, maman 18h20
appel manqué, maman 18h30
Appel manqué, maman, 18h35
Appel manqué, maman 18h40
Appel manqué, papa 18h42
….

Re-merde ! Là, c'était sûr. Elle allait le sentir passer. Cette fois-ci, ils allaient l'enfermer à double tour dans sa chambre et jeter la clé pour toujours. Il fallait qu'elle rentre en vitesse. Elle jeta en vitesse son carnet et ses crayons dans son sac et se leva.
Mais, alors qu'elle allait partit, la jeune fille hésita. Quitte à se faire punir, autant rester encore un peu dehors. Pour le coup, elle n'était pas, mais vraiment pas pressée de rentrer à l'appartement. Et puis, cela leur ferait un peu les pieds à ses parents. Par contre, il commençait réellement à cailler. Il fallait qu'elle bouge si elle ne voulait pas finir congelée.

********

La nuit tomba pour de bon. Dans la rue, les derniers passants se dépêchaient de regagner la douce chaleur de leur foyer. Ruby frotta ses mains gelées. Ses doigts étaient complètement engourdis. Elle allait bientôt être obligée de rentrer, mais la promesse d'une engueulade la poussait à tenir encore un peu. Après tout, peut-être que si elle attendait suffisamment longtemps, ses parents iraient se coucher. Ils étaient tout le temps tellement fatigués. Et puis, ce n'était pas comme s'ils s'inquiétaient pour elle. Tout ce qu'ils voulaient, c'était la contrôler. Jamais ils ne l'avoueraient, mais elle savait que ce serait un soulagement pour eux si elle disparaissait. Ils pourraient enfin vivre tranquillement leur nouvelle vie avec Lily, débarrassée du souci qu'elle représentait, elle et conneries incessantes. Lentement, cette idée commença à se frayer un chemin dans son esprit. Et si elle ne rentrait pas, si elle faisait comme Sarah, qu'elle s'enfuyait loin, très loin. Pourquoi pas, même, rejoindre son amie à Vegas. Rien ne la retenait ici. Elle ne manquerait à personne. Il fallait qu'elle y réfléchisse. Mais en attendant, elle devait absolument trouver un moyen de se réchauffer avant de mourir d'hypothermie. Elle aperçut une bouche de métro. Mais oui, c'était ça la solution. Les stations de métro étaient chauffées. Enfin, au moins un peu.


Complètement frigorifiée, elle s'y engouffra à la recherche de températures plus clémentes. Il n'y avait pas un chat. Voilà quelque chose de plutôt rare à New York, mais elle n'allait pas s'en plaindre. Elle s'assit à même le quai. Même ici sous terre, tout était propre, aseptisée. La ville parfaite si on aimait tout ce qui est morne et insipide.


La musique toujours lancée à fond dans ses oreilles, Ruby se plongea de nouveau dans son univers à elle, se déconnectant une fois de plus de ce qui l'entourait.


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2 commentaires:

  1. Re!

    J'ai commencé à lire cette série ce matin et je dois avouer que je la préfère à Jeu de Pouvoir. Ton style d'écriture est bien meilleur sur celle-ci, peut-être parce que tu l'as écrite après ?

    Je n'ai lu que les deux premiers posts de Jeu, donc ce n'est peut-être qu'une impression. C'est surtout l'intro qui m'a gêné, ce qui est dommage parce que le conte en lui même est vraiment intéressant. Pour le coup, ce serait vraiment utile de reprendre le texte je pense. Enfin c'est juste mon avis.

    Je vais continuer à lire les enfants parfaits en tout cas, j'aime beaucoup. ;)

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  2. En réalité, le pays des enfants parfaits a été écrit avant Jeu de pouvoir, même si je l'ai retravaillé ensuite. Cela participe peut-être, il y a plus de temps entre l'écriture et la réécriture.
    J'ai aussi pas mal de difficulté avec le début de Jeu de pouvoir ( enfin, avec celui des enfants parfaits aussi, mais bon...) Je trouvais l'idée du conte intéressante pour présenter la mentalité du peuple afani, mais le résultat ne me satisfait pas. Tu as raison, il faut que je le retravaille.

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