Jeu de pouvoir ( anciennement le jeu du pouvoir) - chapitre 2

La bibliothèque de l'abbaye territoriale d'Einsiedeln


Le son de la cloche appelant les moines à la prière tira Ian de sa lecture. Il releva la tête et contempla les lieux autour de lui, comme pour se rappeler où il était. Son regard se posa avec tendresse sur les livres qui l'entourait. Loin des préoccupations des enfants de son âge, c'était ici, dans ce temple du savoir et de la connaissance qu'il se sentait bien. Il aimait respirer l'odeur du cuir, de l'encre et des vieux parchemins. Il appréciait également le silence religieux qui régnait dans la bibliothèque.
Délaissant quelques instants l'ouvrage qu'il était en train de lire, un vieux traité d'histoire aux pages jaunis, le garçon s'étira, faisant craquer sa nuque ankylosée. Combien d'heures c'était écoulé depuis qu'il s'était assis à cette table ? Un certain nombre, visiblement. Il referma à regret le livre, non sans avoir pris bien soin de noter dans un coin de sa mémoire l'endroit où il en était, et se leva. En tant que novice, il n'était pas tenu d'assister à toutes les prières qui rythmaient la vie du monastère, mais s'il en croyait son estomac, ce serait bientôt l'heure de déjeuner. Et son estomac se trompait rarement.
Ian traversa les couloirs silencieux jusqu'au réfectoire. Le trajet ne lui prit que quelques minutes. Situé dans une région reculée du royaume d'Agarrain, l'abbaye de Jelos était plutôt petite et ne comptait qu'une quinzaine de membres. Il y était le seul novice. Le seul enfant aussi.
Une fois arrivé, Ian commença à aligner les écuelles et les cuillères sur la longue table en bois qui occupait le centre de la salle. Ca non plus, il n'était pas obligé de le faire, mais il savait que frère Cam, le cuisinier, lui en serait reconnaissant. Et Ian appréciait beaucoup frère Cam. Les autres moines ne faisaient pas vraiment attention au jeune novice. Il était dans leur monde, un monde de recueillement et de prière. Et le garçon était d'une telle discrétion. Tout petit déjà, il avait à cœur de ne pas déranger les gens qui l'entouraient. Il avait hérité ce trait de caractère de sa mère, si douce, si effacée, mais tellement attentionnée. Il était bien le seul. Ses frères, eux, étaient les portraits crachés de leur père : plein de fougue et d'assurance. Bien qu'ils se soient toujours montrés gentils avec lui, Ian ne s'était jamais senti à sa place au milieu des siens. Mais tout cela n'avait plus d'importance, c'était les frères, sa famille maintenant.
Quand il entra dans la pièce, Frère Cam sourit à Ian, dévoilant ses dents jaunies. Le cuisinier du monastère n'était pas vraiment ce qu'on pouvait appeler un canon de beauté. Il était même plutôt moche même, avec sa silhouette bedonnante et son crâne dégarni, mais il se dégageait de lui une bonne humeur communicative qui le rendait immédiatement sympathique. Il avait coutume de dire qu'il était devenu moine parce que la déesse était la seule femme qui avait bien voulu de lui. Ses paroles, un brin blasphématoire faisait froncer les sourcils de quelques-uns, en particulier les nouveaux venus. Les autres, ceux qui le connaissaient bien, savaient qu'il avait voué sa vie à la déesse et au dieu et qu'il s'agissait là d'un simple trait d'humour.
- Alors Ian, enfin sortis de tes bouquins, le charria le vieux moine, l'appel du ventre je présume.
Le jeune garçon lui sourit, sans répondre. Son ami savait bien qu'il n'y avait que la faim pour le faire sortir de la bibliothèque. Les premiers temps, lui et d'autres frères avaient bien tenté de lui faire essayer de nouvelles activités. Mais rien ne l'intéressait, ni le jardin, ni la cuisine... même les gosses du village voisin n'avaient pas réussi à gagner son intérêt. Qu'importe l'activité, le jeune novice finissait toujours par s'éclipser discrètement et on le retrouvait, à sa place habituelle, le dos courbé au-dessus d'un imposant ouvrage qui rebuterait plus d'un moine. Frère Cam s'en était fait une raison. Ian était un solitaire, c'était sa nature. Si telle était la volonté de la déesse, qui était-il pour vouloir le changer ? Et puis, le petit était encore jeune. Un jour, une jolie villageoise lui taperait dans l'œil. On verrait bien alors si les livres l'intéresseraient toujours autant.

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